Plus de cinquante ans ont passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le cœur a beaucoup oublié, principalement des lieux, des dates, des noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. Chaque fois qu’il pleut, qu’il fait froid ou que souffle un vent violent, je suis de nouveau dans le ghetto, dans le camp, ou dans les forêts qui m’ont abrité longtemps. La mémoire, s’avère-t-il, a des racines profondément ancrées dans le corps. Il suffit parfois de l’odeur de la paille pourrie ou du cri d’un oiseau pour me transporter loin et à l’intérieur.
Histoire d’une vie, c’est le récit à la première personne d’une lutte ; le combat permanent entre le présent, celui de l’écrivain israélien, et le passé, celui de l’enfant juif rescapé des camps. Car le parcours d’Aharon Appelfeld est unique : né en Roumanie en 1932, Aharon Appelfeld connait une petite enfance heureuse avant d’être frappé par la Seconde Guerre mondiale. Orphelin de mère à 8 ans, il va connaître le ghetto, être séparé de son père, puis être déporté dans un camp ukrainien dont il va s’échapper et errer seul dans les forêts jusqu’à la fin du conflit. À 14 ans, il débarque en Israël et, lentement, tout en apprenant l’hébreu qui va devenir « sa langue maternelle adoptive », il va prendre conscience de sa vocation littéraire. Il est aujourd’hui l’un des plus grands écrivains israéliens vivants. Et, malgré toutes ces années terribles, il est devenu un homme sans haine, débordant d’humanité, à la recherche « d’une forme de sens ».
Avec cette adaptation très sobre, Bernard Levy nous livre une vision forte et poétique de l’œuvre d’Aharon Appelfeld, portée par un grand comédien, Thierry Bosc, dont le monologue d’1h15 pénètre notre cœur autant que notre esprit.
Les mots sont simples, économes, concis ; ils mêlent des images puissantes, fragments de souvenirs, et des réflexions profondes sur l’écriture, le langage, l’identité, la mémoire et sa perte. La Shoah en elle-même n’est qu’évoquée. L’accent est mis sur les nuances de l’enfance, puis sur l’immigration vers Israël, cet aspect entrant en résonance avec les débats actuels sur l’intégration et le communautarisme…
Photo : © Pierre-Yves Mancini
L’espace scénique, dénudé, est une simple boîte avec une chaise à l’avant-scène. Les lumières, simple variations, font preuve d’une jolie délicatesse. Les murs servent de support à des projections vidéo mêlant arbres et écritures ; elles évoquent les différents lieux de l’enfance, de la forêt, du bureau de l’écrivain… Elles sont justes lorsqu’elles s’en tiennent à la suggestion, au sensitif, mais sombrent dans l’inutile lorsqu’elles deviennent illustratives.
Photo : © Pierre-Yves Mancini
L’acteur Thierry Bosc n’est donc pas seul en scène, il est entouré d’ombres, de couleurs, de mots… Le visage massif de l’acteur et sa haute silhouette, imposante, empreinte de gravité, habitent calmement le plateau. A voix contenue, parfois brumeuse, il porte ce texte puissant, il en épouse les méandres, laisse deviner, dans ses silences, les réalités indicibles. Il refait le parcours de l’enfant réfugié dans les bois jusqu’à devenir cet homme qui veut relier « les strates de (sa) vie à leurs racines perdues ». Un récit de vie qui illustre l’universalité de la quête de tout homme : se construire en acceptant qui on est et d’où on vient.
Poignant.
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⭐⭐ Histoire d’une vie
D’après le livre éponyme de Aharon Appelfeld
Traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti
Adaptation de Jean-Luc Vincent & Bernard Levy
Mise en scène de Bernard Levy assisté de Jean-Luc Vincent
Avec Thierry Bosc
Durée : 1h15
Spectacle vu le 10/12/2014 à la Scène Nationale d’Albi.
Je t’envie d’avoir eu l’occasion de voir l’adaptation de ce texte exceptionnel.
Un très beau texte, très touchant, porté par un acteur magistral ! Du beau théâtre, nécessaire.