Goody Yates était dans un triste état. Il titubait au bord de la route, les épaules voutées, la bouche en sang, la tête cotonneuse et les temps battantes. Il souffrait et délirait. Il ignorait où il se trouvait, ce qu’il faisait, et savait à peine qui il était. Par contre, il savait que si la douleur qui lui embrasait le crâne, pareille à une bête crachant le feu, ne diminuait pas bientôt, il allait se jeter sous les roues de la première voiture qui passerait pour en finir une bonne fois avec cette vacherie. (p. 9)
En onze nouvelles, onze instantanés de vie, Brady Udall nous plonge dans « l’Amérique profonde », celle des petits patelins paumés d’Utah et d’Arizona où il ne se passe jamais rien. Pourtant, c’est bien là que Brady Uddal situe tous ses récits, et il sait tromper l’ennui et la normalité malsaine des bleds où ses nouvelles prennent place par un recours naturel au comique et une générosité humble mais réelle.
Dans ces onze nouvelles, pas de femmes, ou presque. Elles sont parties, ou mortes. Quant aux hommes, ce sont ceux en marge de la société américaine : indiens, petits-blancs, derniers cow-boys, vieux fous, jeunes campagnards… Ils rongent leurs existences, conduisent des pickups, vivent de petits boulots, éclatent épisodiquement en échauffourées alcooliques qui nourrira la conversation des prochaines semaines… ils semblent en attente de quelque chose d’indéfini, comme assis au bord de la vie.
Ce matin, mon fils de huit ans a trouvé une perruque dans une poubelle. Je suis entré dans la cuisine, passablement irrité parce que je n’arrivais pas à faire un nœud correct à ma cravate verte à motif cachemire. Attablé devant un bol de céréales, il lisait une bande dessinée, la perruque enfoncée sur la tête comme un casque de joueur de football. Elle formait une tignasse de cheveux blonds bouclés, le genre que portent les prostituées ou quelqu’un qui veut imiter Marilyn Monroe.
Je lui ai demandé où il l’avait pêchée et il m’a répondu, la bouche pleine de céréales. Je lui ai fait remarquer qu’il n’était pas recommandé de porter des choses qui avaient traîné dans une poubelle. Il a continué à manger et à lire comme s’il ne m’avait pas entendu. (p. 151)
De ces destins pathétiques et morceaux de vie insignifiants, Brady Udall tire la trame de récits captivants, souvent cocasses, parfois légèrement dérangeants et toujours un peu déjantés. Car Brady Udall a un talent fou pour raconter des histoires à la fois improbables et bêtement plausibles. Et chacune de ses nouvelles, fictions sinueuses, est illuminée d’un humour en demi-teinte, d’une ironie voilée et du charisme involontaire de protagonistes résolument paumés mais étrangement attachants.
En une poignée de pages, Brady Udall mène sobrement ses récits vers une chute qui n’en est pas vraiment une, car la vie, aussi pitoyable et désespérante soit-elle, doit continuer…
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⭐⭐ Brady Udall, Lâchons les chiens (Letting Loose the Hounds), traduit de l’américain par Michel Lederer, éd. 10/18, 2000 (1997), 247 pages, 7 €.
Du même auteur : Le destin miraculeux d’Edgar Mint.
J’aime bien ce genre de roman, tu me donnes envies avec ton billet magnifique.
Merci ! Et laisse-toi tenter, c’est vraiment bien ! 😉
Je n’y manquerai pas 😉
Qu’est ce que j’ai aimé ce recueil!!! (remarque, ses romans sont chouettes aussi!)
Ouiii ! J’ai aussi lu et beaucoup aimé « Le destin miraculeux d’Edgar Mint » ! Il me reste donc « Le polygame solitaire » à découvrir…