[roman] « Crépuscule irlandais » Edna O’Brien

Dans ce roman, l’auteur s’intéresse à l’amour maternel en disséquant les rapports tumultueux entre Eleanora et sa mère Dilly, entre amour incommensurable et déchirures multiples. « […] souviens-toi, l’amour c’est que des sornettes, le seul amour véritable c’est entre mère et enfant. » Ces mots, ce sont ceux de Dilly, ceux qu’elle a écrits à sa fille chérie, devenue petit à petit si distante, presque inaccessible.

A l’ouverture du roman, Dilly est à l’hôpital : âgée et malade, elle est en attente d’un diagnostic et d’une ultime visite de sa fille adorée qui tarde à venir à son chevet. Mais si le roman débute ainsi sur la fin de vie de Dilly, bien vite il nous entraîne dans ses souvenirs et nous narre sa vie, et celle de sa fille.

Dans les années 1920, Dilly a voulu échapper à son destin de fille d’Irlande en réalisant son rêve d’Amérique. Mais une fois débarquée à New York, le rêve a tourné court, et après un premier travail comme bonne à tout faire, un autre comme couturière, et un amour déçu, elle est revenue au pays, résignée. Elle s’est marriée, s’est installée à Rusheen, une campagne perdue, et a mené une vie de labeur à la ferme familiale. Elle a aussi eu deux enfants, une garçon, Terrence, et Eleanora, sa fille bien-aimée, dans laquelle elle se projette et voit l’accomplissement mais aussi les échecs de ses propres aspirations.

Car Eleanora a fui très jeune l’étouffante campagne irlandaise et elle est désormais célèbre mais aussi très critiquée pour ses romans sulfureux et sa vie dissolue. Et si l’évasion d’Eleanora de son milieu semble plus réussie que celle de sa mère, elle n’en est pas moins elle aussi empreinte de difficultés et de chagrins : son mariage désastreux, ses fils distants, ses liaisons sans amour…

L’auteur crée de la sorte une série d’échos entre Dilly et Eleanora, comme si, d’une génération à l’autre, mère et fille étaient condamnées à reproduire le schéma familial. Ainsi les lettres de Dilly à sa fille résonnent comme celles que la mère de Dilly lui envoyait lors de son aventure américaine, et à son silence d’alors répond celui de sa fille aujourd’hui.

Mais les malentendus accumulés entre les deux femmes et leur impossibilité à communiquer, même s’il s’agit du sujet même du roman, en marquent aussi la limite : comment parler et faire parler deux femmes qui ne se parlent pas ? Créant une certaine confusion, le roman passe donc d’un narrateur à l’autre et nous donne à lire les lettres que les deux femmes ne s’envoient pas, ou encore des extraits du journal intime d’Eleanora, mais le deux femmes restent dans l’incompréhension l’une de l’autre et le lecteur en ressent une certaine frustration.

Il y a aussi des passages très réussis dans ce roman, notamment l’aventure américaine de Dilly qu’elle raconte avec exubérance, d’autres encore sont très touchants, par exemple quand, sous le langage naïf et limité de Dilly qui conte dans ses lettres à sa fille les menus faits de son quotidien, on sent poindre cette tendresse infinie qu’elle ne sait pas mettre en mots. Mais il y a aussi beaucoup de passages moins convaincants, quasi auto-parodiques. Ainsi à chaque passage lumineux et plein de finesse correspond un moment de sentimentalisme plutôt irritant.

Crépuscules irlandais est donc un roman passionné et tumultueux, parfois tortueux, voire confus, assez inégal, et qui s’essouffle un peu sur la fin, mais qui constitue malgré tout un bel hommage, sensible et poétique, aux mères.

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⭐ Edna O’Brien, Crépuscule irlandais (The Light of Evening), traduit de l’anglais (Irlande) par Pierre-Emmanuel Dauzat, éd. Sabine Wespieser, 2010 (2006), 442 pages, 22 €.

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4 commentaires sur “[roman] « Crépuscule irlandais » Edna O’Brien

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    1. C’est le seul roman que j’ai lu d’elle jusqu’à présent et, vu le peu d’enthousiasme qu’il a suscité en moi, je ne suis pas sûre d’en essayer un autre.

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