Pour ce spectacle, la chorégraphe coréenne Eun-me Ahn a rassemblée une tribu de femmes coréennes âgées de 60 à 90 ans qu’elle a mêlée aux danseurs professionnels de sa troupe. Soit la rencontre entre dix jeunes interprètes professionnels survoltés et effrontés et une douzaine de mamies malicieuses, pour une formation hybride où tradition et modernité s’associent dans un grand moment de liesse qui efface les frontières générationnelles dans un tourbillon généreux qui n’a qu’un seul but : nous rendre heureux.
C’est d’abord Eun-me Ahn elle-même qui ouvre la danse. Seule en scène, en silence, elle esquisse des mouvements lents et restreints, comme empreints de retenue et de pudeur. On y devine l’esthétique de la danse coréenne traditionnelle, teintée d’une certaine malice… une introduction qui annonce qu’elle est sur le point de nous raconter une autre histoire : celle des femmes de son pays.
Puis la scène est envahie par sa troupe de jeunes danseurs pour une chorégraphie très moderne qui tient de la transe et de l’acrobatie, portée par une musique électro lancinante… C’est énergique, vif, leste, puissant, abondant, joyeux et coloré ! Mais on se demande où sont donc ces « Dancing Grandmothers » que l’on nous a annoncé dès le titre, et que l’on attend avec une certaine impatience ?
On les découvre d’abord grâce à une projection silencieuse de vidéos qui vient rompre le rythme endiablé de l’acte précédent. Elles sont là, projetées sur écran géant, filmées chez elles, dans leur intérieur, ou chez le coiffeur, ou tenant une échoppe, ou en bord de route ou de champs… et elles dansent ! Elles dansent ! De façon spontanée et improvisée. Elles sont parfois timides, souvent hésitantes, mais affichent, toutes, le même bonheur communicatif ! On sourit d’abord, puis on est bien vite rattrapé par l’émotion…
Elles avaient toutes l’air heureuses quand elles dansaient. Elles étaient heureuses d’être encore capables de danser, et heureuses que quelqu’un leur ait demandé de le faire. Leurs danses étaient si naturelles et si vivantes qu’elles ont entraîné dans leur mouvement les jeunes danseurs professionnels de ma troupe. Chacun de leurs gestes reflétait la rudesse de leurs conditions de vie. Comme si on regardait un extrait d’un documentaire qui parlerait à la fois du passé et du sol. Les corps ridés de ces grand-mères étaient comme un livre où auraient été consignées des vies vécues depuis plus d’un siècle. Chacune de leurs danses composait une épopée, déployée sur un rythme harmonieux dans une brève fraction de temps. A chaque rencontre avec l’une d’elles, nous regardions l’histoire de la Corée moderne qui s’incarnait dans leur corps, comme si leur corps était un livre d’histoire de notre pays, bien plus concret qu’aucun autre récit de la tradition écrite ou orale.
Dans l’acte suivant, sur des rythmes de pop et de variété coréennes, douze grand-mères entrent enfin en scène. A petits pas, elles traversent le plateau, partent puis reviennent, dansent un slow, chancèlent parfois, se déhanchent soudain, toujours entourées par les jeunes danseurs qui les guident avec bienveillance. Ainsi, le décalage entre les générations finit par s’effacer dans un tendre et joyeux ballet intergénérationnel qui n’oublie pas l’autodérision.
Après les saluts, la moitié des spectateurs rejoignent les danseurs et les grandmothers sur le plateau pour une incroyable fiesta débordante de bonne humeur ! Et grâce à ce moment extravagant de partage et échange, on évite l’écueil de l’attendrissement un peu convenu…
Sous des dehors fantaisistes et multicolores, Eun-me Ahn nous offre donc un portrait tendre et joyeux du troisième âge coréen dans un spectacle étonnant et bizarre, extravagant et délirant, et, surtout, euphorisant !
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⭐⭐ Dancing Grandmothers
Chorégraphie, direction artistique et scénographie Eun-Me Ahn
Composition Young-Gyu Jang
Lumière Jin-Young Jang
Video Tae-Seok Lee
Avec Eun-Me Ahn, Hyung-Kyun Ko, Si-Han Park, Hyun-Woo Nam, Young-Min Jung, Hyo-Sub Bae, Hyekyoung Kim, Jihye Ha, Ei-Sul Lee, Kibum Kim, et la participation de 12 grand-mères coréennes.
Durée : 1h30
Spectacle vu le 22/03/2016 à la Scène Nationale d’Albi.
Un spectacle qui doit donner envie de danser.
C’est tout à fait ça ! 🙂