J’ai reçu une lettre de mon plus vieil ami cinq jours après sa mort. Ce n’était pas une lettre d’adieu. Il a été victime d’une crise cardiaque pendant une partie de squash, à Manhattan. Je n’aurais pas cru que l’on puisse mourir ainsi, à notre âge. Adrian venait juste d’avoir trente-neuf ans, j’étais son cadet de deux semaines. Il avait habité New York ces quatorze dernières années. Nous ne nous étions guère vus durant ce temps, mais il m’écrivait fréquemment, plus souvent qu’il ne recevait de réponses. Désormais, c’est moi qui serait plus âgé que lui, toujours plus, et si tant est que je vive assez vieux, il m’apparaîtra alors comme un jeune homme que j’ai connu autrefois. (p. 11)
Adrian, l’ami d’enfance, le presque frère, beau, blond, riche, intelligent, est mort. Et le survivant, c’est le narrateur, ce « je » qui remonte le cours de cette amitié d’enfance qui s’est distendue avec le temps et l’éloignement géographique. Le narrateur revient sur sa rencontre avec Adrian, leur complicité d’enfance, leurs premiers émois sentimentaux, leurs choix professionnels, l’un partant faire carrière dans la finance à New York, l’autre restant à Copenhague, renonçant à ses ambitions d’architecture pour devenir marchand d’estampes japonaises. Et puis, entre les deux hommes, il y eut Ariane, sœur de l’un et maîtresse de l’autre. Et, pour l’un comme pour l’autre, à un moment, le désir d’être l’autre… Le narrateur cherche à comprendre les mouvements du cœur et du désir qui ont donné à la vie d’Adrian et à la sienne, intimement liées, leurs contours parfois chaotiques. Et, finalement, en questionnant l’histoire de leur amitié, c’est sa propre vie qu’interroge le narrateur :
Suis-je en train de raconter cette histoire pour Adrian, ou pour moi ? Plus je m’enfonce dans mon souvenir, plus j’ai le sentiment que c’est moi que j’essaie de sauver, de dépêtrer d’Adrian. (p.89)
Bruits du cœur est un roman lent et mélancolique, un roman de l’intime qui se penche sur tous les « inachevés » que nous laissons après nous. Mais on a beau chercher à reconstruire le passé, il échappe toujours, et oblige à se contenter d’interprétations insatisfaisantes…
Bruits du cœur possède aussi un certain niveau de licencieux (familles éclatées, inceste, perversions sexuelles), mais le scabreux est y énoncé avec tellement de pudeur, de subtilité et de neutralité, sans préjugé moral, qu’il en devient presque naturel et ordinaire. Dans ce roman où s’entremêlent de multiples intrigues, Jens Christian Grøndahl explore ainsi toutes les facettes de l’amour humain.
Bruits du cœur est un roman pudique et sensible, qui mêle aussi bien des émotions intimes que des réflexions subtiles sur la vie et sur l’être et son devenir.
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⭐ Jens Christian Grøndahl, Bruits du cœur (Hjertelyd), traduit du danois par Alain Gnaedig, éditions Gallimard, collection Du monde entier, 272 pages, 21 €.
Merci beaucoup pour ce billet. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Grøndahl n’a pas déclenché l’enthousiasme. Je m’y suis moi-même cassé les dents. « Lent et mélancolique », c’est aussi ainsi que je qualifierais « Les Complémentaires » qui m’a beaucoup ennuyée pour ce que j’en ai lu. Alors j’ai renoncé à ma lecture, mais pas à découvrir l’auteur avec un autre titre.
J’ai eu du mal au début à entrer dans cette histoire puis, petit à petit, je me suis laissée séduire par son rythme paresseux et intimiste… Et je pense lire d’autres titres de l’auteur.
J’aime bien cet auteur, et notamment ce ton que tu évoques, entre pudeur et mélancolie, ainsi que sa capacité à analyser, sans jugement mais avec profondeur, les comportements humains. Mais j’admets avoir eu un peu de mal moi aussi avec certains de ses titres, la frontière entre lenteur et ennui étant parfois difficile à maintenir..
C’est tout à fait ça, on est d’accord !
Si je le trouve à la médiathèque, pourquoi pas ? Il me tente bien même si « lent et mélancolique » me fait réfléchir.
Lent et mélancolique, oui, mais non sans charme…