En 1980, pour avoir volé des bijoux à une amie, Goliarda Sapienza est emprisonnée à Rebibbia, la plus grande prison de femmes d’Italie. Elle partage dans ce livre, avec drôlerie et férocité, son expérience : l’isolement des premiers jours, la saleté, la puanteur, la promiscuité, la violence, la peur… Mais la grande force de Goliarda, c’est sa curiosité et son intelligence instinctive qui vont lui permettre de trouver une place dans ce grand village étrange qu’est Rebibbia et à mettre à profit ses étonnantes rencontres. Au contact des prostituées, voleuses, trafiquantes, junkies et « politiques » (révolutionnaires d’extrême gauche, c’est l’époque des années de plomb), Goliarda l’intellectuelle, la femme mûre, redécouvre le désir de vie et le désir du monde. Son texte, à la fois introspection et ouverture vers l’Autre, est tout autant mordant que généreux : jamais elle ne s’épargne mais parle toujours avec une tendresse amusée des « maudites », ses codétenues. Elle va ainsi transformer son expérience de l’enfermement en un apprentissage, un paradoxal moment de liberté et de rébellion, et une formidable leçon de vie.
« Ce peu d’assurance que croit avoir la femme, toute la supériorité que parfois vous donne un amant, un ami, un fils, disparaissent devant l’infériorité musculaire – tout simplement musculaire – ressentie entre deux ou trois hommes qui n’ont plus besoin de feindre le respect, l’admiration et la pitié parce que vous êtes femme et plus faible qu’eux. » (p. 11)
« Peut-être mon corps resterait-il là pour toujours comme une pierre si un cri inhumain (j’ai peine à y reconnaître un timbre féminin) n’incendiait pas le silence comme la foudre, faisant vibrer l’obscurité. J’attends presque impatiemment le retour de ce cri, mais rien, tout s’est remis en place dans cette immobilité anormale, comme si l’on n’avait jamais entendu ce hurlement. Voilà ce qui est terrorisant dans cet ensemble de cellules : l’anormalité de leur silence.
Nous désirons souvent le silence, mais celui de la vie est toujours sonore, même à la campagne, à la mer, même lorsque nous sommes enfermés dans notre chambre. Là où je me trouve, le non-bruit a été conçu pour terroriser l’esprit, qui se sent recouvert de sable comme dans un sépulcre. » (p. 15-16)
« La petite Chinoise me connaît déjà. Comme toutes celles qui sont là, elle est parvenue au langage profond et simple des émotions, de telle sorte que langues, dialectes, différences de classes et d’éducation ont été balayés comme d’inutiles camouflages de vraies forces (et exigences) des profondeurs : cela fait de Rebibbia une grande université cosmopolite où chacun, s’il le veut, peut apprendre le langage premier. » (p. 146-147)
« La prison a toujours été et sera toujours la fièvre qui révèle la maladie du corps social. » (p. 178)
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⭐⭐ Goliarda Sapienza, L’Université de Rebibbia (L’Università di Rebibbia), traduit de l’italien par Nathalie Castagnié, éditions Le Tripode, 2013 (1983), 220 pages, 19 €.
Elle évoque cette expérience dans « l’art de la joie » que j’ai lu récemment (mais sous forme romancée).
Oui, j’ai aussi lu « L’art de la joie » que j’ai adoré !