Oh, la terre m’a vomie, la mer m’avale, les cieux m’espèrent, et maintenant que je reprends mes esprits, je ne vois rien, n’entends rien, ne sens rien, mais cela ne pèse pas un grain puisque je ne vaux rien (p. 9)
Quelque part dans l’océan Indien, entre l’archipel des Comores et l’île de Mayotte, une jeune femme se noie… Orpheline de mère, fille de Connaît-Tout, nièce de Tranquille, sœur jumelle de Crotale, amante de Vorace… elle est Anguille ! Elle a grandi à Mutsamudu (la capitale d’Anjouan, l’une des trois îles de l’Union des Comores), elle a écouté les légendes, elle a observé les pêcheurs, elle a séché l’école, elle a lézardé sur la terrasse, elle a fumé en cachette, elle est tombé amoureuse, et elle a rêvé d’ailleurs… Et maintenant, dans son dernier souffle, alors qu’elle lutte pour sa survie, elle nous raconte tout ça, tout ce qui a fait sa vie, tout ce qui a forgé son identité et son désir fou de liberté.
Anguille sous roche est un roman expérimental dans sa forme : tout le texte n’est qu’une seule et unique phrase ; la seule ponctuation utilisée est la virgule ; pas de point, pas de pause. Le texte tourbillonne en une logorrhée urgente, heurtée et vagabonde qui mêle lyrisme et réalisme cru, tragédie et comédie, présent et passé, souvenirs et digressions… Tout du long, le texte hésite ainsi entre le « trop » et le « pas assez » ; trop de sensations, pas assez de respirations. Proche de l’oralité, le style, vif et tendu, est porté par les trouvailles d’une langue inventive, musicale, métissée. Bousculé par ce flux verbal qui ondoie et louvoie, dérouté par cette syntaxe accidentée, le lecteur cherche désespérément à reprendre souffle, et se perd parfois dans ce récit « anguilliforme ». L’assemblage, quelque peu instable, tient grâce à la personnalité d’Anguille, femme-enfant effrontée, excessive, sauvage et forte, terriblement attachante, qui, jamais, ne se pose en victime, même quand sa frêle embarcation prend l’eau.
Récit d’apprentissage et d’émancipation, Anguille sous roche est un roman insolite et déroutant. Et, une fois refermé, reste, indélébile, la voix puissante, sensuelle et révoltée d’Anguille qui, en un dernier cri de rage, fait ses adieux.
Que c’est doux de se sentir soi en trépassant
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⭐ Ali Zamir, Anguille sous roche, éditions Le Tripode, 2016, 317 pages, 19 €.
Je passe, je suis déjà dans une série de styles un peu rebutants, quoique dans un autre genre que celui-là..
Le style peut rebuter en effet.
J’en ai lu un dans le même genre, et je n’avais pas accroché. Une lecture qui n’est pas pour moi.
C’est un texte exigeant mais au fur et à mesure de la lecture on s’habitue au style, à sa musicalité… On finit même par reconstituer la ponctuation manquante.
Il m’attend et je comprends en te lisant qu’il vaut mieux que je sois bien disponible pour cette lecture.
Oui, il faut être disponible et attentif !
Je le tenterais peut-être malgré l’aspect flux verbal, qui peut fonctionner chez moi, si je suis dispo ! Et puis, j’ai tellement adoré Dérangé que je suis, un autre titre de cet auteur.
Il faut être dispo et attentif, mais ce récit vaut l’effort fourni.
Ça semble hyper exigent… je ne sais pas si c’est le bon moment.
C’est une lecture exigeante en effet, à lire l’esprit reposé et disponible.