[roman] « Americanah » Chimamanda Ngozi Adichie

Dans un salon de coiffure afro, dans une banlieue américaine, Ifemelu, jeune femme africaine, se fait tresser les cheveux, rituel propice à la rêverie et aux confidences… Et justement, cette jeune femme vient de prendre une grande décision : quitter l’Amérique et rentrer au Nigeria, à Lagos. Installée aux États-Unis depuis 13 ans, elle s’est pourtant bien intégrée ; après une éternité de galère, elle a tracé son chemin et est devenue une blogueuse renommée et une conférencière bien payée. Mais pour s’intégrer elle a du gommer son accent africain, lisser ses cheveux, policer son vocabulaire (puisqu’ici on ne parle pas de « noirs » mais de « gens de couleur ») et découvrir qu’elle était noire (comment l’aurait-elle su dans son Nigeria natal où ne vivent que des noirs, se demande-t-elle). Cela dit, ce n’est pas par dépit qu’elle prend le chemin du retour… C’est parce que, même après 13 ans, subsiste le souvenir de son grand amour d’adolescence, Obinze.

Americanah est une fresque impressionnante (parfois un peu décousue), tout en va-et-vient temporels et géographiques. Le récit alterne entre l’ascension d’Ifemelu aux États-Unis, le rêve américain d’Obinze qui s’est transformé en cauchemar londonien où, sans-papier, il a survécu comme esclave avant d’être expulsé, et le Lagos de leur adolescence puis de leur retour au pays. Se mêlent à tout cela les articles du blog d’Ifemelu, « Raceteenth ou Observations diverses sur les Noirs américains (ceux qu’on appelait jadis les nègres) par une Noire non-américaine », drôlissimes et décapants, sur la condition noire aux États-Unis. Son propos est alors frondeur, impertinent, féministe… un régal !

« De nombreux Noirs américains disent avec fierté qu’ils ont du sang indien. Ce qui signifie, Dieu merci nous ne sommes pas cent pour cent nègres. Ce qui signifie aussi qu’ils ne sont pas trop foncés. (Pour être précis, quand les Blancs disent « foncé », ils pensent aux Grecs ou aux Italiens, mais quand les Noirs disent « foncé », ils pensent à Grace Jones). » (p. 242)

« Cher Noir non américain, quand tu fais le choix de venir en Amérique, tu deviens noir. Cesse de discuter. Cesse de dire je suis jamaïcain ou je suis ghanéen. L’Amérique s’en fiche. Quelle importance si tu n’es pas « noir » chez toi ? Tu es en Amérique à présent. Nous avons tous nos moments d’initiation dans la Société des anciens nègres. » (p. 249)

Mais si Americanah brasse nombre de questions sociétales et raciales, c’est aussi une grande et belle histoire d’amour. Le ton du récit, à la fois tendre, enlevé, drôle, ironique et féroce, évite le romantisme mièvre et captive. C’est un récit à la fois joyeux et grave, prenant et stimulant.

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⭐⭐⭐ Chimamanda Ngozi Adichie, Americanah, traduit de l’anglais (Nigéria) par Anne Damour, éditions Gallimard, collection Du monde entier, 2014 (2013), 522 pages, 24,50 €.

De la même autrice : Nous sommes tous des féministes.

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22 commentaires sur “[roman] « Americanah » Chimamanda Ngozi Adichie

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  1. Beaucoup apprécié ce roman qui me fait découvrir une Afrique anglophone que nous connaissons mal en France. Aussi un éclairage original considérer les « migrants »

  2. Beaucoup aimé. (et je me souviens d’africains parlant de clair ou teint clair -et moi heu oui- alors qu’ils étaient tous de même nationalité -mais pas même ‘famille’)

    1. J’ai aussi trouvé très fort le passage ou l’héroïne dit s’être « découverte » noire en arrivant aux Etats-Unis !

  3. J’ai aussi beaucoup aimé ce livre, même si le fond m’a bien plus convaincue que la forme. De l’auteur, j’ai été aussi bouleversée par « L’autre moitié du soleil ».

  4. Beaucoup aimé aussi… Le ton decapant. Je me souviens m’être demandé si je trouverais la narratrice sympathique irl… Pas évident mais quel punch ! Et de m’être promis aussi de lire autre chose de l’autrice, toujours pas fait 😀

    1. J’ai lu « L’hibiscus pourpre » : un tout autre « ton » et style, j’ai moins aimé qu’Americanah, mais c’est très bon aussi.

  5. Malgré son intérêt et le propos décapant, je n’avais pas complètement adhéré au personnage de la narratrice, j’avais été gênée par l’insertion des analyses dans le fil romanesque, qui « coupait » le flux de l’histoire, avec un côté quelque moralisateur. Même si c’est pour la « bonne cause » ….

  6. Je déteste les gros romans, mais là même s’il est long, il n’y a aucune longueur malgré ses près de sept cents pages ! Chacune est « intéressante » car elle nous dit quelque chose, l’écriture est dense mais rien n’est gratuit et fait sens. Un livre qui fait réfléchir mais loin d’être un pensum, au contraire. Chimamanda Ngozi Adichie écrit comme un torrent et semble intarissable, noyant le lecteur sous la profusion, mais il l’accepte et consent, subjugué par la force puissante émanant des lignes de ce très bon livre d’un très grand écrivain.

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