[récit autobiographique] « Et tu n’es pas revenu » Marceline Loridan-Ivens

« Toi tu reviendras peut-être parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas. » (p. 13)

C’est un court texte, une centaine de pages, mais un texte d’une exceptionnelle intensité. C’est un texte écrit par l’une des rares survivantes des camps d’Auschwitz-Birkenau, Marceline Loridan-Ivens, née Rozenberg. Marceline, décédée en 2018, avait quinze ans quand elle fut déportée en avril 1944 (dans le même convoi que celui de Simone Veil). Soixante-dix ans après, elle publia donc ce petit livre-témoignage sous la forme d’une lettre adressée à son père, déporté en même temps qu’elle mais qui, lui, n’a pas survécu.

Le ton est calme et mesuré, l’écriture brute : malgré la noirceur des événements, Marceline Loridan-Ivens fuit tout pathos. Elle raconte et témoigne, infatigablement, et on admire son ton libre et sa pugnacité. Ce qui donne a son témoignage une force extraordinaire.

C’est un livre qui raconte les camps : l’arrestation, le cauchemar du wagonnet, le passage devant Mengele pour savoir si l’on continue de vivre, la dernière étreinte avec son père, la tomate et les deux oignons « glissés en douce », le petit mot « à ma chère petite-fille » signé « Shloïme » en yiddish, transmis par un électricien d’Auschwitz, une petite fille qui tombe pour ne plus se relever, le typhus, les coups, le comptage permanent, la perversité des SS, creuser des fosses pour y brûler des corps, trier les affaires des morts…

C’est aussi l’histoire de l’après : le retour en France, l’oncle Charles qui lui glisse « ne leur raconte pas, ils ne comprennent rien », deux mariages, la fréquentation de grands intellectuels, une œuvre commune avec le cinéaste Joris Ivens, les guerres d’Algérie, du Vietnam, la rencontre avec le maoïsme, le retour dans le camp, caméra au poing…

C’est un récit de la colère, colère contre ce qui s’est passé alors, mais aussi colère contre le monde tel qu’il est aujourd’hui. C’est un texte de douleur, qui raconte la difficulté de l’après, pour elle, pour tous les autres membres de sa famille disloquée par l’absence du père et son manque toujours lancinant, même 70 ans après.

C’est un livre poignant, contre l’oubli.

« Il y a deux ans, j’ai demandé à Marie, le femme d’Henri : « Maintenant que la vie se termine, tu penses qu’on a bien fait de revenir des camps ? » Elle m’a répondu : « Je crois que non, on n’aurait pas dû revenir. Et toi qu’est-ce que tu en penses ? » Je n’ai pu lui donner tort ou raison, j’ai juste dit : « Je ne suis pas loin de penser comme toi. » Mais j’espère que si la question m’est posée à mon tour juste avant que je ne m’en aille, je saurai dire oui, ça valait le coup. » (p. 107)

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⭐⭐ Marceline Loridan-Ivens, Et tu n’es pas revenu, éditions Grasset, 2015, 112 pages, 12,90 €.

9 commentaires sur “[récit autobiographique] « Et tu n’es pas revenu » Marceline Loridan-Ivens

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  1. Un livre magnifique et un témoignage précieux par les temps qui courent…
    Sans oublier la difficulté de l’après, qu’elle décrit dans son 2ème livre, que j’ai moins aimé.

    1. Elle en parle un peu aussi dans celui-ci… J’ai bien aimé aussi « L’amour après », un peu moins « Ma vie balagan ».

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