[roman] « Cette vie » Karel Schoeman

Afrique du Sud, 19e siècle. Au soir de sa vie, le temps d’une nuit sans sommeil, une vieille femme se souvient de ce qui fit son existence, austère et taciturne, au sein d’une famille protestante rigoriste et rigide et d’un pays rude mais magnifique.

Elle était l’enfant timide est négligée au profit de ses frères, la jeune fille qu’on ne regarde pas, cantonnée à passer les assiettes et servir le café… Restée célibataire, elle est devenue la tante dévouée, puis l’aïeule austère qui aspire à s’assoupir. Seule dans son lit mais toujours d’une intense lucidité, elle se rappelle la vie du clan à la ferme : l’élevage des moutons, la recherche d’eau et de pâturages, la Bible qui impose sa loi, les obsessions d’une mère avide et irascible, le décès du frère aîné, la naissance d’un neveu, quelques drames et secrets…

La vieille fut une enfant silencieuse et solitaire, mais elle savait observer et écouter. Cantonnée à la marge, elle saisissait l’indiscernable sans pour autant jamais prendre part aux événements.

« J’étais une enfant calme et timide, dont personne ne remarquait la présence, une enfant curieuse au regard éveillé et attentif qui avait le don d’observer et de se souvenir et aujourd’hui encore, ma mémoire et ma raison sont intactes, même si se sont les seules facultés qu’il me reste. Trier et classer les fragments, les pierres et les éclats, les bouts de chiffons, les fils, les rubans et les petits mots, reconstituer enfin cette histoire dont, pendant touts ces années, j’ai été l’une des protagonistes, silencieuse et vigilante dans mon coin, en retrait, peut-être aussi comprendre, voire pardonner, éliminer les tourments, les reproches et la souffrance exprimés, solder les derniers comptes. Me souvenir. » (p. 11)

Elle a subi plus qu’elle n’a vécu, et c’est ce qui donne à ce récit son étrange âpreté, parfois illuminée par des éclairs de lyrisme, des tornades d’images et de sensations, et l’ardeur des sentiments : le miroitement du soleil à la surface des lacs, un paysage immobile sous la lune, le cri d’une antilope face au caracal, le silence du veld, désert d’herbe à l’immensité abyssale, Jacob qui épouse Sofie, qui lui préfère Pieter…

La prose de Karel Schoeman, lente, belle, subtile et puissante, dessine des tableaux fugaces, égrène des souvenirs effilochés, laisse transparaîtrez des sentiments universels… Et pour finir, la solitude et le renoncement.

Cette vie est une ode à un pays et à un peuple. C’est un hommage sobre et humaniste au passé, cet « autre pays ».

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⭐⭐ Karel Schoeman, Cette vie (Hierdie Lewe), traduit de l’afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein, éditions Phébus, 2009 (1993), 265 pages, 21 €.

10 commentaires sur “[roman] « Cette vie » Karel Schoeman

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  1. Je l’ai aussi découvert avec ce roman, et depuis je pense avoriir lu tous ses romans traduits!

  2. J’avais eu un coup de coeur pour ce titre mais je n’ai pas lu autre chose par la suite.
    Merci pour la piqure de rappel.

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