[roman] « Le pingouin » Andreï Kourkov

« Début de soirée. Cuisine. Obscurité. Une simple coupure de courant. Dans le noir, on entend les pas lents de Micha, le pingouin. Il est là depuis un an. À l’automne dernier, le zoo a offert ses pensionnaires affamés à tous ceux qui voudraient bien les entretenir. Justement, Victor se sentait seul depuis que son amie l’avait quitté, une semaine auparavant. Il y est allé et a choisi un manchot royal. Mais Micha a apporté sa propre solitude, et désormais, les deux ne font que se compléter, créant une situation de dépendance réciproque plus que d’amitié. » (p. 9)

Victor Zolotarev, trentenaire désabusé, célibataire, écrivain raté et journaliste au chômage, vit à Kiev. Et il ne va pas fort, Victor. Pour meubler sa solitude, il adopte le pingouin Micha (en fait un manchot royal) au moment de la fermeture du zoo (qui n’a plus les moyens de nourrir ses résidents). Heureusement, Victor retrouve bientôt un emploi bien rémunéré : il va rédiger à l’avance, pour un journal, des notices nécrologiques pour célébrités encore en vie. Mais voici que les personnalités dont Victor raconte la vie la perdent tour à tour ; que Micha le pingouin sombre dans la neurasthénie ; que Micha (l’ami, pas le pingouin) lui confie Sonia, sa petite fille, avant de disparaître mystérieusement ; que Liocha veut lui emprunter Micha (le pingouin, pas l’ami) pour les enterrements ; et qu’apparaît à sa porte la belle et jeune Nina, prête à s’occuper tant de Sonia que de Victor… Et les péripéties et rebondissements les plus absurdes se succèdent ainsi en un enchaînement totalement échevelé et effréné !

Le pingouin est un récit étrange et décalé dans lequel Andreï Kourkov fait de l’absurde la normalité. Victor aborde tous les événements, aussi incongrus soient-ils, avec impassibilité ; rien ne semble ni vraiment le surprendre, ni l’émouvoir ; il subit plus qu’il ne vit. Et c’est de ce décalage que naît l’humour (noir) et la satire. Car sous l’apparente légèreté de la farce, Andreï Kourkov évoque les dérives de l’Ukraine à l’ère post-soviétique : la montée de la violence, l’expansion de la mafia, la corruption omniprésente, l’exacerbation du nationalisme, la relégation des intellectuels… Par la métaphore du pingouin Micha, mal à l’aise et malheureux loin de ses congénères et de sa banquise, il évoque le désarroi qui prévaut à Kiev au sortir de l’ère communiste, le désarroi d’un peuple qui ne sait penser l’individualisme. Ce roman est à la fois léger et grave, décalé, loufoque et impitoyable et laisse comme un arrière goût d’amertume désabusée.

« Sa vie lui semblait paisible, malgré l’épisode alarmant qui lui avait valu de passer le réveillon terré dans la datcha de Sergueï. Tout allait bien pour lui, du moins en apparence. À chaque époque sa « normalité ». Ce qui, auparavant, semblait monstrueux, était maintenant devenu quotidien, et les gens, pour éviter de trop s’inquiéter, l’avaient intégré comme une norme de vie, et poursuivaient leur existence. Car pour eux, comme pour Victor, l’essentiel était et demeurait de vivre, vivre à tout prix. » (p. 142)

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⭐ Andreï Kourkov, Le pingouin (Smert postoronnevo), traduit du russe par Nathalie Amargier, éditions du Seuil, collection Point, 2001 (1996), 273 pages, 6,50 €.

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2 commentaires sur “[roman] « Le pingouin » Andreï Kourkov

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  1. J’avoue que j’ai eu un peu comme toi un sentiment mitigé sur cette oeuvre qui m’avait pourtant été chaudement recommandée…

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