Après un accident de voiture Juan Cabo, romancier à succès, a perdu la mémoire. Pour reconstituer son identité, il n’a que quelques mots inscrits dans un carnet : « Je suis tombé amoureux d’une femme inconnue »… Bien sûr, Juan Cabo va chercher à retrouver cette femme et pour cela, tenter de savoir où il ‘a rencontré ; peut-être au « cercle littéraire » où il a dîné le soir de la tragédie ? Mais voilà, aucun des habitués du lieu ou des membres du personnel ne se souvient d’elle… L’inconnue est-elle une créature réelle ou de fiction ?
L’enquête de Juan va tourner autour d’une série de personnages équivoques : il y a Ninfa, sa vieille domestique taciturne et maternelle ; Eduardo Salmerón, son éditeur aveugle, un homme ambigu, aussi jovial qu’ombrageux et sans doute un brin manipulateur ; il y a aussi un serveur qui se rêve écrivain et un poète mélancolique ; il y a enfin un détective spécialisé dans les affaires littéraires qui lui présente « Muse » une jeune femme vendant des postures aux écrivains en mal d’inspiration… Petits arrangements avec la réalité, gros mensonges, suicide, assassinat, enlèvement… Ce récit foisonne ! Et José Carlos Somoza excelle à brouiller les pistes, à imbriquer quête policière et réflexions philosophiques, à mêler absurde et burlesque, à instiller une part de fantastique dans un récit jusque-là réaliste, à saupoudrer son histoire de références littéraires (ici issues des Métamorphoses d’Ovide), à imbriquer réalité et fiction en un dédale onirique un peu inquiétant mais savamment mené. Et puis, il y a le rythme fou du récit, et l’écriture de José Carlos Somoza, belle et poétique, pleine de souffle, totalement envoûtante…
« L’écrivain accepte avec effort les énigmes de la réalité : nous sommes si habitués à en inventer les arcanes que nous finissons par la confondre avec l’imagination. Mais pour toi c’est tout le contraire, lecteur. Reconnais-le : tu souffres de l’anxiété bachique de l’insolite. Le simple fait que les pages futures sont un secret te pousse à avancer. Parce que tu percevais déjà depuis le début de cette chose, qui n’est pas un roman, ni une chronique royale, ni rien qui y ressemble – je trouverais bien un nom pour le définir -, ce que je ne compris que longtemps après : tout au long coule, opalin, profond, le canal ineffable du mystère. Je le sus quand je lus […] attentivement. Car la lecture ne répond pas à nos questions, mais les éclaire. » (p. 42)
Daphné disparue est un étrange, inquiétant, et néanmoins excellent labyrinthe littéraire, doublé d’une passionnante réflexion sur le processus de création et le rôle de l’écrivain et de la littérature. J’adore !
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⭐⭐⭐ José Carlos Somoza, Daphné disparue (Dafne desvanecida), traduit de l’espagnol par Marianne Millon, éditions Actes Sud, collection Babel, 2008 (2000), 215 pages, 7,80 €.
Du même auteur : La caverne des idées.
Bof, le sujet de la création littéraire ne me tente pas.
Mais il y a bien plus que ça dans ce bouquin ! 😉