Je suis une grande fan de Jaume Cabré (j’avais été totalement éblouie par Confiteor), j’ai donc été très heureuse de le retrouver avec ce roman qui peut être une excellente porte d’entrée à son univers, univers qui est passionnant mais qui, parfois, est tellement foisonnant qu’il en devient difficile à appréhender.
Dans ce roman on trouve tous les thèmes qui nourrissent l’œuvre de Jaume Cabré, à savoir l’histoire de Barcelone et de la Catalogne, les questions du bien et du mal, de la rédemption, du poids du passé, de la consolation que peut procurer l’art et la création artistique… On y retrouve aussi cette passion que Jaume Cabré nourrit pour la musique : le livre est composé en deux parties et quatre mouvements calqués sur le Concerto à la mémoire d’un ange d’Alban Berg. Et puis, il y a le style de Jaume Cabré, cette façon qu’il a de tordre les frontières du temps, de mêler présent et passé, de confondre les voix narratives et les points de vue, de marier la fiction et l’histoire, de digresser joyeusement… J’adore !
Ici, le récit se passe le temps d’un repas : Miquel Gensana a été invité par une collègue journaliste pour un dîner d’affaire ; or le restaurant choisit fût la maison familiale des Gensana. Ce repas va donc être l’occasion pour Miquel de plonger dans le temps, dans ses souvenirs et dans l’histoire tourmentée de sa famille (de son ascension grâce à l’industrie textile à sa déchéance) et de la Catalogne, de la fin du XVIIe siècle jusqu’à l’après Franco. C’est donc l’histoire d’une famille qui nous est contée, une famille qui s’est construite en partie sur des mensonges, en partie sur des renoncements. C’est aussi l’histoire de Miquel, de comment il a voulu échapper à un certain déterminisme familial en s’investissant dans la lutte anti-franquiste, mais n’en sera, finalement, jamais tout à fait libéré. C’est aussi l’histoire de l’oncle Maurici, historien et mémorialiste de la famille, personnage fantasque et un brin pervers, féru d’art, de littérature et de piano… Maurici est l’autre brebis galeuse de la famille, celui par qui la catastrophe arrivera. C’est donc une histoire mouvementée qui nous est contée, une histoire faite de multiples allers-retours, de sauts dans le temps, de changements de narrateur (on passe du « je » au « il » parfois dans la même phrase), de digressions et d’apartés.
L’Ombre de l’eunuque est une œuvre foisonnante, un brin mélancolique, à la fois roman historique et satire sociale. C’est aussi une magnifique saga familiale qui mêle les voix présentes et passées, qui enchevêtre les situations, qui digresse et circonvolue joyeusement, comme seul Jaume Cabré sait le faire : un régal !
______________________________
⭐⭐⭐ Jaume Cabré, L’Ombre de l’eunuque (L’ombra de l’eunuc), traduit du catalan par Bernard Lesfargues, éditions Actes Sud, collection Babel, 2014 (1996), 479 pages, 9,70 €.
Du même auteur : Confiteor.
J’ai comme toi été complétement conquise par « Confiteor », et pourtant, je ne suis pas revenue vers cet auteur depuis… par crainte de sa complexité ?? Ton billet pourrait bien me convaincre !
Je peux te rassurer : les autres livres de lui que j’ai pu lire, celui-ci donc mais aussi « Sa Seigneurie » et « Voyage d’hiver », n’ont pas la complexité de « Confiteor ». Mais « Confiteor » reste, de loin, mon préféré !
Confiteor reste un de mes grands moments de lecture à de nombreux points de vue, un coup de cœur malgré la complexité … Je garde l’auteur en mémoire et ne dis pas non à d’autres lectures de lui 😉
« Confiteor » est l’un de mes romans préférés absolus ! Je le cite tous le temps ! Il reste mon préféré de Jaume Cabré.
Si il est aussi bien que son tout premier, il me le faut.
Tu parles de « Sa Seigneurie » ? Je l’ai aimé aussi, mais j’ai préféré celui-ci !