Ces mémoires sont celles que l’empereur Hadrien, qui vécut de 76 à 138 et régna de 117 jusqu’à sa mort, aurait pu écrire. Il y raconte sa vie : sa naissance et son enfance en Espagne, son admiration pour la Grèce, son goût pour la poésie et la philosophie, son expérience de militaire, ses fonctions de juge à Rome, sa carrière sénatoriale, son attachement pour l’empereur Trajan (son père adoptif dont il épousa une petite-nièce), son opposition à la guerre en Asie où il fut légat de Syrie, son accession à l’empire, sa volonté de paix mais son obligation de réprimer les révoltes afin de protéger le territoire… et puis, aussi, son amour pour le jeune Grec Antinoüs.
En une longue lettre qu’il adresse à son successeur Marc Aurèle, il livre à la fois son expérience d’homme de guerre, d’homme politique et d’homme d’État, jugeant sans complaisance son action. Il développe également une pensée tant philosophique que métaphysique sur le pouvoir, la passion amoureuse, l’art, le temps, la mort, le divin… Enfin, il fait part de ses émois personnels et intimes, ses doutes et ses questionnements ; il dévoile ainsi des aspects plus sombres de sa personnalité, son cynisme de puissant, son racisme vis-à-vis de certains peuples, sa misogynie, son sadisme d’amoureux et sa mauvaise foi pour justifier ses actions. C’est un homme au soir de sa vie qui se livre ici, qui regarde en arrière, dresse le bilan et veut transmettre sa vérité, en toute sincérité.
Ce livre est donc, en premier lieu, un roman historique qui évoque l’âge d’or de l’Empire romain, le IIe siècle. On va y traverser tous les grands événement du règne d’Hadrien, on va y croiser tous les grands personnages de l’époque, les hommes d’État, les philosophes, les artistes et les poètes. La reconstitution est très documentée, minutieuse et scrupuleuse : lieux, monuments, personnalités, événements, mœurs, conditions de vie… Marguerite Yourcenar plonge son récit dans une érudition incroyable tout en restant intelligible.
Mais au-delà du l’ouvrage historique, le récit de Marguerite Duras est aussi une extraordinaire œuvre romanesque. C’est une épopée pleine de vie et d’émotions, de couleurs, de mélodies, de senteurs et de saveurs. À l’incontestable érudition du texte s’ajoute la beauté de la langue et la perfection du style, classique et sans faille. Marguerite Yourcenar use d’un style soutenu, parsemé de bribes de latin, de mots rares et anciens, elle recourt abondamment aux métaphores, périphrases, oxymorons et autres figures de style et teinte le tout de poésie et parfois de lyrisme. C’est magnifique ! Et c’est tout aussi superbe dans l’expression du sentiment et des passions que l’Empereur évoque avec force ; on le lit avec beaucoup d’empathie décrire et découvrir cette puissance terrible qui bouleverse son âme autant que son corps, cet engagement profond, ce serment d’éternité envers Antinoüs. Et son aveu est bouleversant.
On peut donc lire Mémoires d’Hadrien à la fois comme une biographie, un roman historique, un roman philosophique, un roman d’amour et même un essai. En effet, sous la plume de Marguerite Yourcenar, Hadrien a aussi, parfois, une voix très contemporaine avec des intuitions presque prophétiques sur l’avenir de l’Empire, du monde et de la société.
« Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l’esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d’imaginer des formes de servitude pires que les nôtres, parce que plus insidieuses : soit qu’on réussisse à transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu’elles sont asservies, soit qu’on développe chez eux, à l’exclusion des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares. À cette servitude de l’esprit, ou de l’imagination humaine, je préfère encore notre esclavage de fait. » (p. 129)
Ces mémoires sont ainsi en équilibre parfait entre le savoir et l’émotion et nous livrent à la fois une histoire intime et une grande épopée dans un texte d’une extrême beauté.
Grand coup de cœur, vous l’aurez compris !
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Marguerite Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, éditions Gallimard, collection folio, 1996 (1958), 364 pages.
je l’ai commencé mais jamais fini ça ne devait pas être le bon moment, il faudrait que je réessaye!
Oh oui, il faut lui donner une nouvelle chance ! 😉
Celui-ci est dans ma PAL mais je l’ai pas encore lu car je pense qu’il m’intimide….. Peut-être à tort mais son auteure m’impressionne également…. Mais il est là et m’attend et ta chronique m’incite à ne pas m’effrayer à l’avance 🙂
Il faut, il faut, il faut !!! 😉
Je l’ai lu quand j’étais encore jeune, il m’avait carrément envoûté et inciter à lire d’autres livres de cette excellente écrivaine…. Quel beau souvenir, merci !
Un gros coup de cœur pour moi ! Je n’ai encore rien lu d’autre de cette autrice, mais c’est prévu !