[roman] (Les cahiers de Céline, 1) « Le cahier noir » Michel Tremblay

Débute avec cette chronique mon « Québec en novembre » organisé par les copinautes Karine & YueYin !  🙂

Le cahier noir - Michel Tremblay

La honte est une bête qui possède plusieurs têtes, je le sais depuis mon enfance, par la force des choses, à cause de ce que je suis.

En 1966, au cœur du quartier latin de Montréal, Céline Poulin sert de nuit des hamburgers platters à la faune exotique (étudiants paumés, travestis, guidounes et folles) de la Main, boulevard mal famé. De jour, elle gère sa calamiteuse famille : une mère alcoolique, un père végétatif, et deux sœurs cadettes adolescentes. Lassée de cette vie morne, Céline rêve qu’il lui arrive enfin « quelque chose ». Et en acceptent d’aider une étudiante à préparer son audition pour jouer dans Les Troyennes d’Euripide, elle met en marche une bombe à retardement qui va bouleverser sa vie…

Premier tome de la trilogie des cahiers de Céline, ce cahier noir est le journal-confession de l’héroïne narratrice. C’est le cahier de la honte d’être différent, mais aussi celui d’une lente transfiguration vers l’émancipation. Car si, au début du récit, Céline confie à son cahier son désarroi, sa frustration, sa colère et sa honte face aux humiliations quotidiennes subies, liées à sa différence, petit à petit, à force d’épreuves, de rencontres, de hasards et de quiproquos, elle va apprendre à s’assumer et même à faire une arme de sa particularité.

Ce cahier noir est aussi une exploration des relations mère-fille dans un rapport d’animosité, de rejet réciproque et même de torture psychique. La mère de Céline, tenant sa fille pour responsable des déceptions et échecs de sa vie, en est devenue acerbe, manipulatrice, tyrannique et destructrice, dénigrant perpétuellement sa fille. Quant à Céline, peu sure d’elle et profondément blessée par le rejet de sa mère, elle espère malgré tout, encore, une parole, un geste, une preuve d’amour… Jusqu’au moment où, à force de fréquenter diverses marginalités, Céline en vient graduellement à accepter la sienne et arrive enfin à s’affranchir d’un milieu familial malsain qui l’a toujours dénigrée à cause de sa différence.

Ce cahier noir est encore un récit sur l’envie et la nécessité d’écrire et la passion du théâtre. Le théâtre est en effet au centre du récit, une troupe d’amateurs montant Les Troyennes d’Euripide. En mettant cette pièce en parallèle avec l’évolution de Céline, Michel Tremblay en souligne la modernité et en donne une vision universelle qui transcende les deux mille quatre cents ans qui nous séparent de son écriture.

Enfin, dans ce cahier noir, Michel Tremblay donne la parole à des personnages extravagants, plus grands que nature, drôles et attachants, mais qui tous cachent, derrière leurs vies de comédie, des tragédies personnelles. Michel Tremblay dresse avec tendresse les portraits vivants et touchants de ces êtres « à la marge » qui n’agissent pas selon les règles établies. Et comme souvent chez Michel Tremblay, la solidarité des faibles et des démunis est au cœur de son récit et lui confère une belle humanité !

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⭐⭐ Michel Tremblay, Le cahier noir, éd. Actes Sud, 2003, 264 pages, 19,80 €.

Du même auteur : Le cahier rouge & Le cahier bleu.

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14 commentaires sur “[roman] (Les cahiers de Céline, 1) « Le cahier noir » Michel Tremblay

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  1. Ποσειδῶν
    Ἥκω λιπὼν Αἴγαιον ἁλμυρὸν βάθος
    πόντου Ποσειδῶν, ἔνθα Νηρῄδων χοροὶ
    κάλλιστον ἴχνος ἐξελίσσουσιν ποδός.

    1. Mon cher Lou, mon gestionnaire de blog ne maîtrise pas le grec et avait classé votre extrait des « Troyennes » en message indésirable ! Le vilain !

  2. un auteur que j’ai découvert l’année dernière et qui m’a touchée …il faut que je continue à découvrir ce qu’il écrit visiblement .

    1. De lui, j’ai aussi lu « La grosse femme d’à côté est enceinte » et « Un ange cornu avec es ailes de tôle » : un régal !

  3. RHo la la, je suis très très tentée, (j’aime beaucoup ta fin sur la solidarité des faibles). Je n’ai jamais lu québécois (shame), j’ai peur d’un univers très éloigné du mien, mais là tout me parle: le théâtre classique, la famille dysfonctionnelle et la volonté de sortir de situation toxique….Je note je note. (c’est une série du coup? il y a les cahiers 2 etc…où on voit évoluer Céline).

    1. Oui, c’est une série, en 3 tomes. Après ce « Cahier noir », celui de l’émancipation, vient le « Cahier rouge », dans lequel Céline fait l’apprentissage de la liberté, de l’amitié, et la série se termine avec le « Cahier bleu » dans lequel Céline trouve l’amoûûûr (les deux autres cahiers seront bientôt chroniqués sur mon blog) ! Et le tout se lit facilement : un peu de joual agrémente le texte, suffisamment pour faire « couleur locale » mais pas trop non plus, pas de quoi « perdre » le lecteur non québécois.

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