[théâtre / lecture publique] « Clôture de l’amour » Pascal Rambert

Clôture de l'amour - Pascal Rambert

Je voulais te voir pour te dire que ça s’arrête
ça va pas continuer
on va pas continuer
ça va s’arrêter là

Ils y croyaient : l’amour fou, absolu, définitif ! Mais c’est fini. Stan quitte Audrey. Il s’en explique dans un long monologue furieux et haletant. A flot ininterrompu, il déverse les mots, comme porté par une urgence de dire : il égrène ses griefs et ses reproches, il débite des autojustifications souvent troubles, il évoque son avenir ailleurs, sans elle. Il attaque, avec des mots d’une extrême violence. Homme hermétique et distant, esprit franc et rationnel, il est la raison contre le cœur. Il quitte celle qu’il a aimée sans état d’âme, avec un détachement bouleversant d’indifférence et d’insensibilité. Il est drôle, aussi, parfois, lorsqu’il lâche au bout d’une demi-heure : « Je commence à peine… ».

Face à lui, face à ce flot unilatéral de mots, Audrey, attentive et stupéfaite, immobile et stoïque, ne dit rien.  Comme sonnée, elle accuse le coup. Elle ploie et se recroqueville peu à peu sous cette entreprise de démolition de ses sentiments autant que d’elle-même.

Mais soudain, elle se redresse ! Alors qu’on la croyait anéantie, elle répond avec l’énergie d’une bête blessée aux attaques dont elle a été victime. Le choc des points de vue se déploie : rendant coup pour coup, elle revient à peu près sur chaque point qu’il a évoqué, elle démonte une à une les attaques, elle désamorce l’argumentaire qui semblait si bien rôdé… Elle se lâche à son tour, sans masquer ses blessures, mais sans victimisation non plus. Davantage dans un registre affectif, mais loin d’un apitoiement larmoyant, elle tente de faire le deuil en direct de cet amour mort. Et la beauté de son plaidoyer réside dans sa volonté de garder les moments partagés, sans aucun reniement. Il y a de beaux moments : lorsqu’elle se positionne en garante de la mémoire de leur couple, parle de leurs enfants (« Je les garde… »), ou lorsqu’elle constate, pensive : « L’amour est bête, je me soucie encore de toi ». In extremis, elle semble prête à pardonner, tendant la main une dernière fois… puis se mure dans une douleur glacée.

Stan, à l’écoute, encaisse, faiblit, fléchit, sans susciter de compassion.

relève-toi
il faut nous séparer
je t’ai aimé connard comme je t’ai aimé

Avec Clôture de l’amour, Pascal Rambert a écrit une pièce uppercut qui décortique la rupture amoureuse en se gardant de sombrer dans le sentimentalisme. Stan et Audrey ne s’engueulent pas, ils se dévastent ; le texte est proliférant, raide, intense, cinglant et cruel ; le langage d’aujourd’hui est cru et impudique ; le rythme, énergique et saccadé. Clôture de l’amour est une pièce puissante et émouvante, un affrontement dont nul ne sort vainqueur…

Clôture de l'amourPascal Rambert et Audrey Bonnet.
Photo : V. Noël © Radio France

Créée en juillet 2011 au Festival d’Avignon, cette pièce a été écrite spécialement pour ses deux interprètes, Stanislas Nordey et Audrey Bonnet. Je n’ai pas eu la chance de découvrir ce spectacle lors de sa création, mais pour le Festival d’Avignon 2013, France Culture a proposé une lecture publique du texte et j’ai pu assister à son enregistrement. Pour l’occasion, Satanislas Nordey étant empêché, c’est Pascal Rambert qui a interprété son texte, en compagnie d’Audrey Bonnet donc. Et j’ai été totalement subjuguée par la prestation de cette dernière ! Le temps du monologue de Stan, elle paraît passive et fragile ; frêle silhouette se tenant tête baissée, longue chevelure cachant son visage, mains serrées, elle bronche à peine sous les coups des mots… Pour se révéler par la suite : sa diction est étonnamment puissante et on sent de sa part un engagement et une implication totale. Elle dégage une émotion à la mesure de la violence de la situation. Deux heures d’un face-à-face terrible, d’un duel cruel, à la fois intense, magnifique et poignant !

Et vous pouvez découvrir cet enregistrement sur le site de France culture : c’est ICI !

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⭐⭐ Clôture de l’amour, Pascal Rambert, éd. Les Solitaires Intempestifs, 2011, 84 pages, 13 €.

⭐⭐ Clôture de l’amour
De Pascal Rambert
Interprété par Audrey Bonnet et Pascal Rambert
Durée : 2h
Spectacle vu le 19/07/2013 au Festival d’Avignon in.

Lire & déliresThématique : théâtre

6 commentaires sur “[théâtre / lecture publique] « Clôture de l’amour » Pascal Rambert

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  1. Un jour j’irai au festival d’Avignon …
    Merci pour le partage de ce texte, je me le mets de côté pour l’écouter au calme dans la semaine prochaine 🙂
    Il a l’air génialement joué et lu !

    1. Le festival d’Avignon, c’est quelque chose de magique, vraiment à expérimenter si tu en as l’occasion… Quant à « Clôture de l’amour », j’ai déjà dit tout le bien que j’en pense ! 😉

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