[roman] « Sanctuaire » William Faulkner

Sanctuaire est un roman intense, noir et dur, inspiré d’un fait divers sordide. L’habileté du récit consiste à faire admettre, sans les moraliser, le viol d’une jeune fille, le meurtre d’un homme et le lynchage d’un innocent, soit des formes de violence extrême ; les faits, difficilement soutenables, étant énoncés sans jamais porter de jugement de valeur.

Mais plus que de l’histoire elle-même, la puissance du récit vient de sa construction, magistrale, et de son style, chaotique, tendu, qui ne laisse aucun répit au lecteur. Sa technique narrative est subtile, les chapitres se focalisent à tour de rôle sur le destin des différents protagonistes, et le noyau de l’intrigue n’est révélé qu’à la fin du roman. Pas même révélé d’ailleurs, puisque le lecteur doit plutôt le déduire, ce qui s’est réellement passé n’étant jamais dit explicitement, mais évoqué par bribes. Ce n’est que peu à peu que, l’intrigue se resserrant, les clés pour comprendre le déroulement des faits sont données. Cette construction non linéaire, avec sa chronologique bouleversée et sa narration disloquée, déroute certainement, mais force l’admiration devant son habileté, le lecteur restant incertain jusqu’au bout sur les faits. C’est un livre difficile, qui requiert une attention soutenue et qu’on lit partagé entre fascination et répulsion.

Temple ne vit pas, n’entendit pas s’ouvrir la porte de sa chambre. Au bout d’un instant, elle tourna par hasard les yeux de ce côté et y aperçut Popeye, son chapeau sur l’oreille. Sans bruit, il entra, ferma la porte, poussa le verrou, se dirigea vers elle. Tout doucement, elle se renfonça dans le lit, remontant jusqu’au menton les couvertures, et resta ainsi, anxieusement attentive aux gestes de Popeye. Il s’approcha, la regarda. Elle sentit son corps se contracter insensiblement, se dérober dans un isolement aussi absolu que si elle eût été attachée sur le clocher d’une église. Elle sourit à Popeye d’un pauvre sourire humble et gauche, découvrant l’émail de ses dents. (p. 197)

On referme ce livre sonné, à bout de souffle, exsangue, sans savoir comment en parler… J’ai attendu quelques jours, quelques semaines même, le temps de reprendre mon souffle et de chercher mes mots. Je ne suis pas sûre de les avoir trouvés. Mais l’impression généralement qu’il m’en reste aujourd’hui est un sentiment diffus et persistant de violence, de bassesse, de corruption, d’impuissance, de désespérance et… de consternation.

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⭐⭐ William Faulkner, Sanctuaire (Sanctuary), éditions Gallimard, collection Folio, 2009 (1931), 375 pages, 7 €.

14 commentaires sur “[roman] « Sanctuaire » William Faulkner

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  1. Très belle chronique ! J’ai parfois du mal à me concentrer à 200 % sur ma lecture, donc pour l’instant ce ne sera pas un livre pour moi. J’aurais peur de perdre le fil.

    1. Le premier Faulkner que je lis, sans doute pas le dernier, mais je vais attendre un peu avant de récidiver… Assurément pas idéal pour une lecture « de vacances » !

  2. Si, si, tu as très bien trouvé les mots pour exprimer ces sentiments à la fois intenses et chaotiques que suscite souvent les romans de Faulkner, et ce titre en particulier. J’ai d’ailleurs découvert l’auteur avec ce titre qui est je trouve une bonne introduction à son oeuvre, car il nous amène à faire connaissance avec son style si caractéristique, sans être totalement obscur.

  3. Une très belle chronique, qui me donne envie de découvrir Faulkner .. mais pas tout de suite car j’ai de la peine à me concentrer sur un roman.

  4. Je trouve que tu as bien trouvé les mots pour parler de ce roman, à la fois magistral par sa technicité, intense par son propos, mais subtil et pas facile d’un premier abord (du deuxième non plus d’ailleurs)! Comme tu dis, il faut pas mal de concentration et j’ai du en manquer un peu pour mieux l’apprécier encore!

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