[roman] « Montée aux enfers » Percival Everett

Montée aux enfers - Percival Everett

La nuit tombait.

Ogden Walker est le shérif adjoint d’une petite ville du Nouveau-Mexique peuplée, comme il dit,  de « péquenauds bornés », et seul afro-américain à 80 kilomètres à la ronde. Son plus grand bonheur réside dans les parties de pêche à la mouche, sa hantise est de devoir manier son arme et son refuge, outre les nuits à la belle étoile dans le désert, reste le douillet « home sweet home » de maman Walker. Pas un « super-flic » donc, mais un homme de bonne volonté. Alors, quand les cadavres s’accumulent dans sa petite ville figée et sans histoire, il ne sait par quel bout commencer l’enquête.

Au fil de trois enquêtes menées dans le brouillard, Ogden croise des groupuscules affiliés au KKK, des prostituées du quartier chaud de Denver, des hippies défoncés qui zonent dans les montagnes environnantes… Et Ogden le solitaire officie de plus en plus comme un zombie, professionnel par routine mais assez éloigné de toute vocation policière (« Lui non plus n’aimait pas les flics, même s’il voulait s’aimer lui-même »). Page après page, il s’enfonce dans une Amérique interlope, sans illusions, où tout périclite… même sa propre pensée : Ogden se trompe, trompe, est trompé, et devient même le principal suspect d’un des meurtres sur lequel il enquête. Or, c’est Ogden qui nous raconte l’histoire : peut-on croire sa version des faits ? Ogden s’épuise peu à peu et s’enfonce dans une forme de dépression suscitée par la prise de conscience de l’omniprésence du mensonge, de la violence et du malheur. Son personnage acquiert au fil du récit une dimension de plus en plus insaisissable. L’affaire Ogden s’avère être plus une quête qu’une enquête, quête d’identité pour un personnage en inadaptation sociale, confronté à ses tourments intérieurs.

A priori donc, Montée aux enfers est un polar. Sauf que dans ce polar-là les enquêtes sont presque secondaires et restent en partie inachevées. Mais si les amateurs d’intrigues policières ne trouveront pas forcément leur compte avec ce roman atypique, les inconditionnels de l’auteur y reconnaîtront et apprécieront sa capacité à se jouer des apparences, à déstabiliser ses héros toujours en quête, à digresser vers le surréalisme, et à mêler cynisme, burlesque et absurde. Avec Montée aux enfers, Percival Everett poursuit sa réflexion sur les thèmes qui lui sont chers : les travers d’une Amérique contemporaine déliquescente, entre violence latente et racisme « ordinaire ». Il suinte de son roman une puissante sensation d’irrémédiable. Et il faudra aller jusqu’au bout de la lecture pour un reversement inattendu dans un final qui garde une part de mystère…

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⭐ Montée aux enfers (Assumption), Percival Everett, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Tissut, éd. Actes Sud, coll. Actes noirs, 2012 (2011), 240 pages, 21,80 €.

Du même auteur : Effacement, Désert américain, Pas Sidney Poitier & Percival Everett par Virgil Russel.

8 commentaires sur “[roman] « Montée aux enfers » Percival Everett

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  1. Étant une quasi inconditionnelle de l’auteur, j’ai en effet accroché… C’est original, à la fois sombre et drôle, bref, du Everett !
    Mais je peux aussi comprendre que les amateurs de polars soient déçus.

    1. Étant moi aussi une inconditionnelle d’Everett, j’ai aimé, évidement, mais ce n’est pas un polar au sens « classique » du terme, ce qui peut dérouter un lecteur non averti…

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