[théâtre] « Bullet Park » de Rodolphe Dana – Collectif Les Possédés, d’après John Cheever

Rodolphe Dana met en scène Bullet Park, d’après le roman de John Cheever publié en 1969, œuvre qui plonge dans les névroses de l’Amérique banlieusarde des années 60.

Via le quotidien de deux familles voisines, les Nailles et les Hammer (« clous » et « marteau »), il dépeint l’American way of life et en révèle les contradictions. Car derrière les façades pimpantes de l’utopie pavillonnaire, tout se désagrège. Engoncés dans le carcan des conventions, les habitants de Bullet Park étouffent sous des règles sociales, culturelles et morales qui engendrent frustrations et désarroi existentiel.

Les Nailles, famille modèle jusque-là sans histoire (juste une quinzaine de cigarettes par jour en attendant l’heure de l’apéro), sont totalement dépassés par la dépression de leur fils unique, Tony, et contemplent, abasourdis, l’effondrement progressif de l’image du bonheur idéal dont ils s’étaient bercés.

Les Hammer, à peine installés dans leur coquette maison, commencent à s’y déchirer. Marietta glisse lentement vers l’hystérie. Quant à Paul (le narrateur), enfant illégitime dont la haine tient lieu de fondement, il annonce dès le début de la pièce sa volonté de crucifier le rêve américain. En attendant l’opportunité de mettre son dessein à exécution, il se dissimule dans la microsociété aseptisée de Bullet Park.

"Bullet Park" Rodolphe DanaPhoto : Mario Del Curto

Tout au long de la pièce, les personnages se racontent, en toute candeur. Mais la révélation de leurs secrets dérisoires ne fait que refléter la médiocrité et l’insignifiance de leurs existences. C’est l’ennui de l’oisiveté, c’est l’oppression de ce mode de vie conventionné « respectable, consciencieux, sobre, chaste, honnête »… Une agréable ville, d’agréables voisins, une agréable maison avec une jolie pelouse bien tondue, une agréable cuisine avec un frigo bien rempli, un agréable salon avec un grand téléviseur, une agréable famille. Home sweet home. Cette apparence d’ordre et de contrôle doit s’écrouler, inévitablement.

Sous une forme d’ironie mâtinée de tendresse, le texte fait ainsi la satire d’une société bienpensante qui cache ses excès (tabagisme, alcoolisme, surconsommation, matérialisme, frustration sexuelle…) sous un masque de pudibonderie. Le ton loufoque et souvent absurde des dialogues tient à distance la gravité du sujet pour laisser naître des situations humoristiques quasi-surréalistes. C’est caustique, et efficace, en équilibre précaire entre drame et vaudeville.

Toutefois les acteurs peinent à maintenir la même intensité tout au long des 2h10 de représentation. Les scènes qui se succèdent sont assez inégales. Certaines scènes sont réjouissantes de cocasserie (Marietta Hammer qui se shoote à la crème chantilly comme dérivatif à sa frustration, ou la pudibonde Nelly Nailles troublée par son énigmatique voisin), d’autres s’avèrent véritablement un peu longuettes (les nombreux monologues narratifs de Paul Hammer, ou les scènes des thérapeutes se succédant au chevet du fils).

Entre ironie et noirceur, cette dégringolade du côté des revers de l’American way of life laisse un goût amer et désenchanté.

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 Bullet Park
D’après John Cheever

Création collective par le Collectif Les Possédés, dirigée par Rodolphe Dana
Avec David Clavel, Françoise Gazio, Katja Hunsinge, Antoine Kahan, Nadir Legrand, Christophe Paou et Marie-Hélène Roig
Durée : 2h10
Spectacle vu le 10/03/2012 au Théâtre Garonne, Toulouse

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