[essai] « Relire, Enquête sur une passion littéraire » Laure Murat

Relire - Laure Murat

Rien n’est plus intime, pour qui consacre sa vie à la littérature, que de parler de la lecture et, a fortiori, de la relecture, comme si celle-ci constituait une révélation au carré.

Laure Murat signe avec cet essai une singulière mais passionnante enquête au pays de la relecture : Pourquoi relit-on (ou pas) ? Qui ? Quand ? Comment ? Et que nous apprend une deuxième (voire une énième) lecture que la première n’avait pas révélé ?

Pour tâcher d’éclaircir le mystère de cette étrange passion littéraire, Laure Murat s’est fondée sur un questionnaire (qui figure en annexe pour qui voudrait s’y plier) envoyé à des dizaines d’acteurs du monde littéraires (auteurs, éditeurs, traducteurs, professeurs, libraires…). Et donc, après une présentation du contexte de sa recherche, elle entre dans le vif du sujet avec une première partie qui synthétise les réponses reçues. Et on y découvre, par exemple, un palmarès des auteurs les plus relus : à 24,6 %, les personnes interrogées ont cité Proust ! Puis, vient Flaubert (17 %) ; Montaigne, Nietzsche et Woolf (6,5 %) ; Baudelaire, Duras, Beckett et Shakespeare (5,2 %) ; Balzac, Barthes, Foucault, Michaux, Faulkner, Sartre, Sterne, Platon et la Bible (3,9 %).

Dans la seconde partie de l’ouvrage, Laure Murat retranscrit certains des questionnaires reçus, et c’est un vrai bonheur ! Les réponses données convoquent les différentes facettes d’une expérience singulière (personnelle et intime), décrivant aussi bien le pouvoir des lectures-fétiches de l’enfance que, pour certains, la jouissance obsessionnelle de lire et relire, comme Oscar Wilde le professait : « Si l’on ne peut trouver de jouissance à lire et relire un livre, il n’est d’aucune utilité de le lire ne serait-ce qu’une fois. »

Et puis (relecteur ou non), on ne peut s’empêcher de se soumettre au petit jeu du « moi aussi » ! Je vous avouerai donc que je me suis beaucoup reconnue dans la pratique de relecture d’Annie Ernaux (et n’ayant jamais lu Annie Ernaux, cela m’a donné très envie de découvrir ses écrits !). Forcément, un tel ouvrage nous interroge (nous, lecteurs) sur notre pratique de la relecture et sur le « sens » que nous y donnons. Voici donc quelques réflexions sur mon expérience…
Premier constat : cette lecture m’a fait prendre conscience que, si j’ai beaucoup pratiqué la relecture pendant mon enfance, je ne la pratique quasiment plus aujourd’hui.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été une lectrice vorace, toujours un livre à la main, et un second à portée pour que, une fois fini celui en cours, je ne me retrouve pas « sans rien à lire » (même si le premier faisait 1000 pages et que je n’en ai été qu’au tout début, sait-on jamais). N’ayant alors accès qu’à un nombre restreint de livres (la bibliothèque familiale, quoique bien garnie, restait déterminée), je relisais alors énormément (Les Quatre filles du Docteur March, Vingt mille lieues sous les mers, Le Comte de Monte-Cristo…). Dès que j’ai commencé à aller à la bibliothèque municipale (vers l’âge de douze ans ?), j’ai moins relu (l’impression que relire m’enlevait du temps que j’aurais pu consacrer à la découverte) et ma pratique de la relecture c’est alors petit à petit amenuisée jusqu’à devenir quasi-inexistante, à de rares exceptions, telle Le Seigneur des anneaux (découvert à l’adolescence, je le relis depuis au moins une fois par an) et la poésie (Beaudelaire, Supervielle, Desnos, Prévert…) que j’aime picorer par bribes…
Et je me rends compte aujourd’hui que je suis au seuil d’une nouvelle phase : envie de ralentir… et de relire, de savourer, mes livres chéris, ceux que j’ai mis de côté depuis des années à cet effet. Car, en effet, pourquoi acheter et garder des livres déjà lu si ce n’est dans l’idée de les relire un jour ?!

Pour finir, quelques citations relevées au cours de ma lecture :

« Le plaisir du tout semblable dans le tout différent », résume Patrick Chamoiseau.

Madame Tschann, lorsqu’elle exerçait encore, avait deux mots assassins pour un grand nombre de nouveautés déferlant en librairie : « déjà lu ».

Et les jolies réponses de Philippe Forest :

Relisez-vous parce que vous avez oublié un livre, ou parce que vous vous en souvenez ?
Parce que je me rappelle l’avoir oublié.

Je suis convaincu que la littérature a pour visée essentielle l’impossible et qu’en ce sens elle nous fait éprouver le vertige de l’incompréhensible. Du coup, en relisant, on comprend de mieux en mieux à quel point on ne comprend pas.

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⭐⭐ Laure Murat, Relire, Enquête sur une passion littéraire, éd. Flammarion, 2015, 304 pages, 19 €.

6 commentaires sur “[essai] « Relire, Enquête sur une passion littéraire » Laure Murat

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  1. Je connais parfaitement ce ‘sait-on jamais’ ^_^
    Bon, je me réjouis, car j’ai commandé ce livre en librairie (sont pas pressés, de quoi vous dégoûter de refuser A***)
    Gamine je relisais beaucoup, dont certain comte de MC!

    1. Aaaaah, ce cher Comte ! 🙂
      Je te souhaite de belles découvertes alors, quand tu auras enfin reçu ton exemplaire : j’ai encore bien noirci mon petit carnet de plein de nouvelles idées de (re)lectures !

  2. Je trouve ton billet passionnant, et j’entre moi aussi dans une phase, où je vais relire des romans qui m’ont marquée dans l’enfance ou l’adolescence, je pense à Jules Verne entre autre, en espérant que ces romans me touchent encore.

    1. Il y a toujours une petite appréhension au moment de ré-ouvrir un roman particulièrement aimé : la magie va-t-elle opérer une fois de plus ?

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