[nouvelles] « Seiobo est descendue sur terre » László Krasznahorkai

Ce livre se compose de 17 chapitres, 17 récits indépendants qui, tous, questionnent les notions de beauté, de création, de l’art et du sacré. László Krasznahorkai interroge à la fois le rôle des artistes, des spectateurs et l’émotion que peut susciter une œuvre d’art. Comment, pourquoi, une œuvre parvient-elle à nous bouleverser ? L’auteur étudie la possibilité du choc esthétique ; il joue du contraste entre notre quotidien fait de routines et de répétitions, qui nous empêche de « voir » réellement ce qui nous est devenu trop habituel, et ce moment à peine perceptible, indescriptible, où un tableau, une sculpture, un air de musique nous « parle », nous touche, nous arrache à la banalité.

« […] il se passe quelque chose dans cette salle, quelque chose de difficile à exprimer en mots, mais que chacun ressent, un léger poids au creux de l’âme, une forme de ferveur sublimée, qui empreigne l’atmosphère, comme si quelqu’un était là, et c’est sur les visages des non-croyants, simples curieux ou touristes, que la surprise est la plus visible, car tous sentent qu’il se passe, qu’il s’est passé, qu’il va se passer quelque chose […] » (p. 82)

Les phrases de László Krasznahorkai courent sur plusieurs pages ; elles sont sinueuses, parfois insistantes, se dérobent par moment, accélèrent soudain… Ce rythme si particulier, asynchrone, exigeant, révèle la puissance et la précarité de l’art, l’engagement qu’exige la création et notre difficulté à nous ouvrir à la contemplation et au ravissement esthétique.

De Kyoto à Venise, de Paris à Athènes en passant par Grenade et Genève, l’auteur nous entraîne dans un long et tortueux voyage à travers les époques et les lieux. Sur ces 17 récits, forcément, certains touchent plus que d’autres. Je retiendrai plus particulièrement l’histoire de cet homme rêvant de l’Acropole qui, une fois enfin sur place, est aveuglé par le soleil se réverbérant sur le marbre blanc et ne voit donc rien de ce qu’il espérait. Il y a aussi cette très ancienne statue du Bouddha : endommagée, elle doit être restaurée, mais comment conserver l’infini pouvoir suggestif de son regard quand elle n’est plus qu’un amas de morceaux de bois ? A noter aussi ce discret clin d’œil : les numéros des chapitres respectent la suite de Fibonacci, référence au fameux nombre d’or, celui de la « proportion divine » !

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⭐ László Krasznahorkai, Seiobo est descendue sur terre (Seiobo járt odalent), traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly, éditions Cambourakis, 2018 (2008), 410 pages, 25 €.

4 commentaires sur “[nouvelles] « Seiobo est descendue sur terre » László Krasznahorkai

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  1. Je connais l’auteur, je l’aime beaucoup, mieux vaut apprécier son écriture. J’ai encore Guerre et guerre à lire, et ces nouvelles, merci d’en avoir parlé!

    1. C’est le premier livre de cet auteur que je lis : son style est exigeant, c’est sûr, mais le fond est très intéressant. Je vais me pencher sur ses autres écrits.

  2. J’adore cet auteur, mais j’avoue que ce titre me fait un peu peur… en raison du sujet sans doute, je crois que je crains de ne pas comprendre ou de m’ennuyer… il est pourtant déjà sur mes étagères !

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